Le récit
Patagonie – Parc National Nahuel Huapi
Aux portes de San Carlos de Bariloche se trouve le parc de Nahuel Huapi abritant notamment le grand lac Nahuel Huapi, mais également, un massif qui s’étend jusqu’à la frontière Chilienne. Nous y avons prévu une traversée d’une dizaine de jours.
Au départ de Villa Catedral, nous comptons suivre l’itinéraire des trois refuges, Emilio Frey, San Martin, Manfredo Segre. Puis, nous enchainerons sur la traversée du massif de Colonia Suiza à Pampa Linda où de là, nous grimperons sur le volcan Tronador. Nous finirons notre marche en franchissant le Paso de las Nubes pour atteindre Puerto Frías et ainsi rentrer à San Carlos de Bariloche à bord d’une mini croisière sur le lac Nahuel Huapi.
Jour 1 : Villa Catedral – Refuge Emilio Frey
3h15 – 10km – +815/-100m
En à peine trente minutes de bus, nous arrivons à la station de Villa Catedral, au pied du massif du Cerro Catedral, point de départ de la rando. Le ciel a bien changé par rapport au grand beau de ces derniers temps, il tourne au mauvais. Une belle dépression s’annonce… Nous devons sortir nos vestes qui n’ont pas servi depuis bien longtemps. Le chemin commence par longer le bas du massif en surplombant le lac Gutiérrez, avant de grimper en s’enfonçant dans les bois dans la vallée Van Titter. Nous croisons surtout du monde qui redescend, d’un bon pas… Que se passe-t-il là-haut ?
A midi, nous allons nous refugier de la petite pluie, le temps du repas, dans l’abri Piedritas. Une petite cabane en bois qui est imbriquée sous un immense rocher.
Il nous ne reste plus qu’une heure de montée pour atteindre le refuge Emilio Frey perché à 1750 mètres d’altitude. C’est sous une pluie battante et un vent de folie que nous y arrivons, complètement trempés. Nous commençons par nous sécher et étendre nos affaires dans le petit local réservé aux campeurs, qui déborde de monde… Puis nous nous installons dans ce petit refuge à l’ambiance sympathique tout aussi bondé et animé, autour d’un chocolat chaud et à proximité de la fenêtre pour admirer le spectacle. Malgré le temps, le panorama est magnifique. Le refuge domine la lagune Tonček et offre une superbe vue sur les pics du Cerro Catedral. Des pics majestueux pointant vers le ciel qui donnent l’impression d’être face à une cathédrale, d’où son nom. Durant une accalmie, nous allons installer notre tente, rares sont ceux qui aujourd’hui la plantent. La plupart ont du coup opté pour une couchette et parmi les deux qui ont osé l’expérience du bivouac, l’un d’eux a vu sa tente s’envoler… Le second a quant à lui une tente quatre saisons. Cela ne nous effraie pas, nous nous trouvons un bon petit coin abrité au milieu d’arbustes, le choix de l’emplacement est importance cruciale !
Jour 2 : Refuge Emilio Frey – Refuge San Martin
4h40 – 10km – +775/-970m
A notre réveil, par miracle, la tente est sèche, nous en profitons et replions nos bagages rapidement. Nous allons prendre le petit déjeuner à l’intérieur du refuge, mais tout le monde dort encore ! Ici, le petit déjeuner n’est servi qu’à partir de neuf heures… Le temps est un peu meilleur, mais toujours très nuageux. Nous décollons finalement vers neuf heures et nous partons pour l’ascension du premier col du jour. Après avoir longé la lagune Tonček, toute la grimpette se fait dans la caillasse et les éboulis, le panorama est très beau. Nous passons la lagune Schmoll puis un dernier raidillon, suivi d’un replat nous amène au col Catedral. Situé à 2030 mètres d’altitude, il sera le point le plus haut du trek.
Ca souffle au col et nous ne voyons pas grand-chose. Par temps dégagé, il est possible d’admirer une bonne partie du parc du Cerro López au volcan Tronador. Mais aujourd’hui, rien… De l’autre côté, la descente est à-pic et une nouvelle fois dans les éboulis qui se finissent dans un petit couloir. Très sympa à descendre quand on aime courir à petite foulée dans les pierriers. Quelques rayons de soleil font leur apparition et nous en profitons pour faire une courte halte dans le fond de la vallée Rucaco, au bord d’un cours d’eau.
Nous reprenons la route pour le second col, celui de Brecha Negra culminant un peu moins haut, à 1945 mètres d’altitude. Une nouvelle fois l’itinéraire passe par la caillasse, un peu à la montée, mais surtout à la descente qui est casse-pattes. D’en haut, nous avons cette fois une vue sur le Cerro Catedral, d’où nous arrivons, et sur ses magnifiques pics emblématiques.
Nous arrivons au refuge, juste avant la pluie et nous patientons encore une fois, autour d’un chocolat chaud. Lorsque le temps se calme, nous allons explorer un peu les lieux et partons à la recherche du départ du sentier qui mène directement au prochain refuge par une arête délicat, le « Cordon de los Inocentes ». Nous le trouvons, mais malheureusement, à moins d’un miracle d’ici demain, avec une telle météo, il sera trop dangereux de passer par là, nous allons faire un détour de deux jours…
Nous sommes retournés dans le parc deux semaines plus tard et cette fois ci, sous un beau ciel bleu. Nous avons pu effectuer cette traversée délicate du Cordon de los Inocentes en passant par le Cerro Navidad culminant à 2093 mètres d’altitude, un superbe passage.
Jour 3 : Refuge San Martin – Rancho de Manado
7h10 – 28km – +680/-1070m
Ce matin, nous sommes encore les premiers à partir et même s’il ne pleut pas, il ne fait toujours pas beau ! Nous partons en direction de Colonia Suiza à l’extérieur du massif. Nous entamons une longue descente dans la forêt de la vallée Casa de Piedra. Il ne fait pas chaud, mais il y a au moins quelques rayons de soleil de temps à autre. Par contre, cela n’est pas suffisant pour aller se baigner dans la rivière que nous longeons et qui a l’air fort agréable. Beaucoup d’oiseaux peuplent ces bois, comme le Pic de Magellan, un pic à la tête rouge, le Caracara Huppe, un rapace au bec orange, qui croate en balançant sa tête d’avant en arrière ou encore le Huet Huet, un petit oiseau noir à la queue en l’air qui sautille en faisant des pouêt-pouêts.
En début d’après-midi, nous rejoignons la piste que nous empruntons sur six kilomètres jusqu’à Colonia Suiza et finalement, comme il est encore tôt, nous décidons de continuer. Nous bifurquons pour remonter dans la forêt de la vallée Goye, jusqu’à l’air de campement Rancho de Manalo où nous nous installons pour la nuit. Nous ne sommes pas seuls, un groupe d’Américains y a également posé ses tentes.
Jour 4 : Rancho de Manado – Refuge Manfredo Segre (Italia)
1h15 – 2km – +460/-30m
Pour une fois nous partons tôt, mais ça ne servira pas à grand-chose… Nous attaquons la raide montée qui grimpe en « S » pendant que la météo se dégrade au-dessus de nous. Pluie et vent violent arrivent. Une fois à la lagune Negra, nous allons faire une pause pour nous réchauffer au refuge Manfredo Segre avec comme d’habitude un chocolat chaud… Mais le hic, c’est que nous n’en sortirons plus !
Temps de merde ! Même à l’intérieur du refuge il ne fait pas chaud, à-peine 13°c. Nous voyons par la fenêtre les Américains passer dans l’après-midi, ils mettent un temps fou à contourner la lagune et se prennent les intempéries de plein fouet. Ce sont les seules personnes que nous voyons aujourd’hui, tout le monde à fuit les montagnes…
Nous nous commandons pizzas et pâtes afin de garder nos rations de nourriture pour la suite vu que nous prenons du retard. Nous passons le temps en regardant la mauvaise météo par la fenêtre tout en lisant le magazine « Extremo Patagonia ». Le vent souffle si fort, qu’il donne l’impression qu’il va faire décoller le refuge.
Nous ne pointons même pas notre bout du nez dehors de la journée, sauf pour aller installer la tente dans un coin abrité… Et rien que de la rejoindre, c’est une expédition en soi !
Jour 5 : Refuge Manfredo Segre – Lagune C.A.B. (Lluvu)
3h15 – 7km – +680/-810m
Au réveil, il pleut encore et le vent souffle. Nous traînons toute la matinée sous la tente avant finalement de se décider à partir vers midi lors d’une accalmie. Nous avons eu écho que le beau temps devrait revenir… Nous contournons la lagune Negra, escaladons une mini-barre rocheuse et grimpons vers le col Negro culminant tout juste à 1800 mètres, avec le vent, la pluie qui sont finalement de retour et qui nous fouettent le visage.
Une longue descente en forêt dans une belle végétation s’en suit. Par ce temps, ça glisse pas mal… Nous arrivons dans le fond de la vallée La Cahata, bien trempés. La végétation est ici très dense. Il faut parfois batailler avec… Dans la remontée, nous croisons de nouveau les Américains. Ils semblent joyeux, même par ce temps, ils chantent, rigolent… Ce n’est pas normal, ils doivent certainement venir d’Alaska…
Arrivés à la lagune Lluvu, plus communément appelée lagune C.A.B. en l’honneur du Club Andino de Bariloche, nous ne trouvons pas la suite de l’itinéraire. Trempés jusqu’aux os, après seulement trois heures de marche, nous n’avons aucune envie de chercher le sentier au travers des arbustes également détrempés. Nous montons la tente et nous nous y réfugions pour le reste de la journée.
Jour 6 : Lagune C.A.B. (Lluvu)
Il a plu toute la nuit et il fait toujours un temps de chien… Adieu Paso de las Nubes, adieu croisière sur le lac Nahuel Huapi, nous prenons trop de retard, nous n’aurons jamais le temps d’aller jusqu’au bout de ce que nous avions prévu. Nous devrons sortir du massif à Pampa Linda…
Nous restons blottis dans la tente toute la journée, sortant aux rares accalmies pour aller au petit coin et remplir les gourdes, en vitesse ! Nous scrutons le baromètre en permanence, qui ne varie guère. Les tentes des Américains ne sont qu’à une cinquantaine de mètres de la nôtre, mais nous ne les voyons même pas, eux aussi sont blottis dans leurs abris.
A vingt heures, il neige ! Adieu Pampa Linda, adieu volcan Tronador, c’est fini, nous n’aurons pas suffisamment de temps et de nourriture pour continuer. Nous allons devoir faire demi-tour demain, si nous pouvons !
Jour 7 : Lagune C.A.B. – Mallin Mate Dulce
3h25 – 7km – +485/-465m
Sept heures, il fait gris… Huit heures, aucun changement… Neuf heures, le ciel semble se dégager, nous sortons de la tente et mettons nos affaires à sécher. Le paysage a complètement changé, tout est blanc !
Dix heures les Américains nous disent que le temps va s’améliorer, qu’il n’y aura pas de pluie aujourd’hui et que le beau temps sera de retour demain. Ils ont eu un point météo par téléphone… Ils quittent le bivouac les pieds dans l’eau… Nous apprenons par la même occasion, que si nous n’avions pas trouvé le chemin qui contourne la lagune, c’est parce qu’il n’y en a pas ! Il faut la contourner directement dans l’eau…
Cela nous a motivé d’avoir ces informations et de les voir partir, nous décidons de continuer dans le sens initialement prévu malgré le manque de temps et de nourriture ! Il est finalement onze heures quand nous décollons. Vingt minutes les pieds dans l’eau à contourner le lac sur 800 mètres, nos pieds sont complètement gelés. Il nous faut les frictionner pendant quinze minutes pour retrouver un peu de sensation ! Nous avons l’impression que nos doigts de pied vont tomber…
Nous repartons par un sentier peu tracé à travers des sapins enneigés. Nous avons l’impression d’être aux sports d’hiver ! La neige de la veille, en plus d’offrir un panorama superbe, nous permet de rester sur le bon chemin, en suivant les traces de pas des Américains. Après une bonne montée, nous arrivons à un petit col qui nous conduit ensuite encore un peu plus haut, au travers d’un passage rocheux, à un petit sommet à côté du Cerro C.A.B. Le ciel est couvert, mais le panorama reste très beau et effectivement, il ne pleut pas. Une courte pause repas, nous économisons pour les jours suivants, et nous entamons la descente à travers de gros blocs rocheux. Nous finissons par arriver, après quelques heures de marche seulement, dans la prairie humide de Mallin Mate Dulce. Nous plantons la tente avant la chute de quelques flocons.
Jour 8 : Mallin Mate Dulce – Cabane Papá Manuel
5h40 – 13km – +940/-1055m
Il a fait 2°c dans la tente et en dessous de 0°c dehors, c’est givré, c’est signe de beau temps ! Il y a un grand ciel bleu ! Une fois le soleil sur la tente, nous replions nos affaires et nous partons à l’assaut du prochain massif, celui de Cristales. Une belle montée dans une ambiance de haute montagne nous amène au col situé non loin du Cerro Cristales. Le panorama sur les alentours est superbe, nous pouvons enfin apercevoir le volcan Tronador, tout blanc !
Nous hésitons sur la descente et finissons par suivre le balisage… Mauvaise pioche ! La descente est merdique comme pas possible, dans des éboulis bien casse-pattes et se termine dans des zones humides et marécageuses. Nous aurions dû suivre la crête et plonger plus tard…
Nous arrivons à la petite lagune Cretón, de là, nous suivons l’arête pour l’un des plus beaux passages toujours dans un cadre de haute montagne. L’itinéraire surplombe la magnifique lagune Azul d’un bleu exceptionnel et de l’autre côté, nous avons une vue sur le lac Nahuel Huapi. Nous poursuivons vers le Cerro Capitan et après avoir passé la lagune Jujuy, nous atteignons le col suivant. D’ici, le mont Tronador nous apparaît d’un coup, comme par enchantement, d’encore plus près qu’au matin.
Nous descendons vers une nouvelle mallin, prairie humide, et finissons cette journée à lagune Llón bordée d’une belle plage de sable noir. Nous profitons du retour du soleil pour nous baigner dans ce petit coin de paradis. Sur sa rive se trouve la cabane Papá Manuel, mais celle-ci est trop petite et sommaire pour y passer la nuit. Nous installons notre campement juste en retrait de la plage. Un bivouac de rêve avec une vue sur la lagune où, au coucher du soleil, vient se refléter le volcan Tronador à la surface de l’eau.
Jour 9 : Cabane Papá Manuel – Refuge Otto Meiling
6h15 – 18km – +1160/-690m
Au petit matin, nous admirons un spectacle éblouissant. Le soleil se lève doucement sur le volcan Tronador, qui se reflète une nouvelle fois sur la lagune Llón, avec en prime, une petite brume qui flotte au-dessus de l’eau…
S’en suit des passages plats en forêt humide et une descente raide, pour rejoindre une rivière issus de deux glaciers, Alerce et Castaño Overa. Sans pont, il nous faut la traverser à gué, l’eau nous monte jusqu’en haut des cuisses et elle est bien évidement glaciale ! Un peu plus loin, nous apercevons Pampa Linda, un hôtel, un camping, un restaurant et une petite épicerie. C’est mignon et dans un cadre plus qu’agréable. Nous y faisons une petite halte pour le déjeuner.
Après un sandwich copieux, nous entamons la montée sur le mont Tronador. Le mastodon que nous apercevons maintenant depuis plusieurs jours. Il s’agit d’un volcan situé sur la frontière Chilienne, culminant à 3491 mètres et qui compte sept glaciers ! La montée est d’abord légère, puis s’accentue sévèrement au fil des heures. Il fait chaud, nous faisons des pauses régulières… Le chemin est plus fréquenté de ce côté du parc, et au vue des paysages, c’est compréhensible. Le panorama sur les glaciers est sublime. Une dernière montée nous amène au refuge Otto Meiling situé entre deux glaciers à 1930 mètres d’altitude. Ils sont vraiment tout près ! Nous installons la tente à côté du glacier Alerce, la vue est sur celui-ci et l’ensemble du parc Nahuel Huapi est incomparable !
Jour 10 : Refuge Otto Meiling – Puerto Frías
7h40 – 30km – +745/-1810m
Le lever du soleil sur le Tronador lui donne de magnifiques couleurs au petit matin. Nous avons planché toute la soirée sur la carte car il nous faut être ce soir à Bariloche, mais il nous reste deux jours de marche. Avec en plus un handicap, il nous faut arriver à Puerto Frías avant dix-sept heures, l’heure à laquelle le bateau quitte le port.
Huit heures et demie, le compte à rebours est lancé. Nous avons huit heures pour atteindre Puerto Frías ! Nous redescendons du volcan à bon pas et admirons une dernière fois ses glaciers. Nous mettons deux heures pour rejoindre la croisée des chemins dans la vallée, nous sommes dans les temps !
Nous remontons en direction Paso de las Nubes, le col des Nuages, un nom qui laisse rêveur. Le sentier est plutôt tranquille au début, mais après la rivière à traverser à gué, il grimpe plus sèchement. Quasi tout le parcours est en forêt, ca ne se dégage que sur la fin.
Arrivés au refuge Agostino Rocca situé sur le col à 1400 mètres d’altitude, avec quinze minutes de retard sur notre timing, nous questionnons les gardiens sur la suite du parcours. « Impossible, il faut normalement sept heures, cinq si vous marchez bien, vous ne pourrez pas y être à temps » qu’ils nous disent. Après leur avoir expliqué d’où nous arrivons et le temps que nous avons mis, ils changent d’avis. « Vous êtes des trekkeurs de compétition ? Si vous gardez votre rythme, vous pouvez y être en un peu moins de quatre heures »
Ni une, ni deux, nous dégringolons l’autre versant du col à petite foulée jusqu’au fond de la vallée Frías. Là, nous nous disons que n’avons plus qu’à suivre le fond de la vallée le long de la rivière tranquillement jusqu’à Puerto Frías. Il n’en est rien !
De là, commence un véritable parcours du combattant qui va durer deux heures ! Dans une forêt dense, humide, marécageuse glissante et pleines d’obstacles. Il n’y a pas de véritable chemin, c’est un bordel sans nom…
Nous arrivons finalement au port, vingt minutes avant le départ du bateau, pari gagné ! Nous rentrons tranquillement. Durant deux petites heures, nous sommes bercés par les vagues de lagune Frías, puis du lac Nahuel Huapi à bord d’un catamaran.