Le récit

Ski-pulka en Laponie finlandaise

Parc National Urho Kekkonen

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Retrouvez également le récit d’Elodie et Stéphane.

 

Jour 0 : Kiilopää

C’est magique et impressionnant, il neige, la piste est blanche, l’avion est en train d’atterrir sur le petit aéroport d’Ivalo. Nous avions peur de ne pas pouvoir atteindre notre destination avec le Coronavirus qui se propage en Europe, les liaisons aériennes commencent à être annulées en masse. Dans le premier avion, il n’y avait pas beaucoup de passagers. Nous en avons profité pour demander lors de l’escale à Helsinki, à être placés sur un vol plus tôt pour le second. En arrivant à Ivalo, petit coup de stress… L’un des bagages n’a pas suivi. Nous patientons à l’aéroport pour le récupérer (en espérant qu’il arrive bien avec le vol suivant), avant de prendre la navette pour Kiilopää. Il est 23 heures, nous allons nous coucher à l’auberge.

Aéroport d’Ivalo

 

Jour 1 : Kiilopää – Suomunruoktu
5h00 | 14,50km | +200/-230m

C’est la tempête ce matin. Le vent souffle, il neige et il y a du brouillard. Nous allons prendre le petit déjeuner au chaud au Feel Center, un centre de montagne. Une sorte de foyer de ski où sont réunis l’accueil de la station, le bureau d’information du parc, un restaurant, une mini-épicerie, ainsi que la boutique de location, le sauna et les douches. Un garde du parc nous questionne sur notre itinéraire, nous invite à nous inscrire dans le registre et nous indique que ce matin, la météo ne permet pas de prendre le départ. Hier, ils ont été secourir plusieurs personnes pris dans la tempête. À quelques kilomètres d’ici, notre itinéraire passe par une petite cime et apparemment, le vent y souffle à 70 km/h ce matin. Il faut attendre le début d’après-midi, la météo sera au grand beau. Il nous met en garde aussi sur les rivières et le piège qu’elles peuvent représenter, ainsi que sur une vallée étroite où la quantité de neige est souvent importante. La poudreuse est abondante et il serait difficile de progresser. Il nous conseille de raccourcir notre itinéraire. Nous ne sommes pas encore partis, qu’il nous met déjà la pression…

Démarrage sous la tempête

Nous allons ensuite essayer et récupérer le matériel de ski que nous avions réservé, quatre paires de skis de randonnée nordique (ski backcountry), quatre paires de chaussures, confortables et chaudes, quatre paires de bâtons, ainsi que deux pulkas avec leurs harnais et brancards que Stéphane et moi tracterons. Élodie et Célia auront un sac à dos avec l’équipement à garder à porter de main. Lors de l’essayage et du réglage de l’équipement, le garde du parc qui passe à ce moment-là se marre bien. Nous avons enfilé les harnais à l’envers. Nous regagnons l’auberge où nous prenons le temps de bien répartir l’équipement dans les pulkas et d’examiner la carte de cette première journée.

Il est 11 heure, le vent souffle un peu moins, nous décidons de partir dès maintenant. L’étape est conséquente pour un premier jour, nos pulkas sont bien chargées et nous n’avons jamais fait de ski de randonnée nordique. La journée s’annonce longue, nous ne voudrions pas finir à la lampe frontale et nous n’avons pas de réservation pour la hutte de ce soir. La météo devrait se calmer dans quelques heures, nous misons là-dessus. Nous passons la grande porte qui marque l’entrée du parc et faisons nos premiers kilomètres en direction de la hutte Niilanpään. Il s’agit d’une hutte de journée. Il est possible de s’y arrêter pour s’abriter, se poser ou manger, mais il n’y est pas autorisé d’y passer la nuit.

Notre progression est assez bonne et bien protégés, nous ne subissons pas le froid. Nous gagnons la hutte légèrement à l’écart de la piste, mais elle paraît fermée ou plutôt, de ne plus être fonctionnelle. Un écriteau semble indiquer qu’elle aurait brûlé. J’avais pourtant checker chaque hutte avant de partir, rien n’indiquait qu’elle était fermée et le garde du parc ne nous a rien dit ce matin… Nous nous blottissons dans un coin pour nous protéger du vent afin d’essayer de manger un peu avant de continuer. Mais le vent est glacial, sans les skis aux pieds, il est très difficile de se déplacer, on s’enfonce minimum jusqu’aux genoux. C’est la galère, nous gelons sur place. Nous repartons, d’un bon rythme pour se réchauffer, surtout les mains qui n’ont pas aimé qu’on leurs retire les moufles en duvet.

Au milieu des grandes étendues

Sur la cime le vent souffle toujours, mais le passage n’en reste pas moins sublime dans ces conditions. Dans la descente, la neige soufflée est légèrement croustillante, ce qui permet de se laisser glisser. Nous rejoignions un fond de vallée plus abritée, le ciel se dégage. Nous profitons d’un petit abri, juste trois murs et un toit pour manger un morceau. Quatre skieurs avec de gros sacs à dos nous passent devant.

La suite de l’étape est plus douce et nous arrivons à la hutte en fin d’après-midi. Pour une arrivée plus sereine, en sachant que notre première journée serait bien remplie, nous avions voulu réserver nos places dans cette hutte. Malheureusement, elle affichait complet lors de la réservation. Ce soir, lorsque nous arrivons à Suomunruoktu, la partie libre compte déjà les quatre Thèques qui nous ont doublé, et trois autres personnes, pour une capacité de huit places. Dans la partie réservable, deux Finlandais sont présents, mais ils comptent reprendre la route en direction de Kiilopää… Il est près de 18 heures ?! Heureusement, nous arrivons à tenir à onze dans la hutte, il faut juste manger à tour de rôle par groupe sur la petite table. Par contre, il y fait une chaleur du diable, un vrai sauna, la moitié des gars, dont moi, est torse nu…

 

Jour 2 : Suomunruoktu – Tuiskukuru
5h30 | 13,50km | +200/-2200m

Finalement, personne n’a dormi dans la partie réservable, la météo a certainement démotivé le groupe qui avait réservé. C’est un peu la cohue pour prendre le petit déjeuner dans un si petit espace. Dehors, il fait un grand ciel bleu et -10°C. Dès la sortie de la hutte, nous apercevons nos deux premiers lagopèdes. Aussi blancs que la neige, ils sont difficiles à observer. Nous les repérons uniquement lorsqu’ils s’envolent en criant.

Nous prenons la route peu après les Tchèques, nous suivons leurs trace. Avec la neige d’hier, toutes les traces ont été recouvertes. Les filles chaussent leurs peaux de phoques à leurs skis, les écailles des skis ne sont pas suffisantes pour les petites côtes que nous passons ce matin. Stéphane et moi les avions mis dès le début, avec les pulkas à tracter, elles sont indispensables. Nous ne les quitterons quasiment plus jusqu’à la fin de notre séjour. Moi, cela me convient bien, même en descente, elles m’évitent de prendre trop de vitesse, je ne maîtrise pas encore bien mes trajectoires amplifiées avec la pulka.

L’étape alterne entre forêts, grands plateaux et petits cols avec un panorama sur des sommets. Le paysage est très varié et la météo superbe, une journée exceptionnelle. Nous ne croisons personne, sauf les deux Finlandais, bien chargés avec leurs sacs à dos monstrueux, qui nous rattrapent… Mais où ont-ils passé la nuit, dans l’abri trois murs ? Ils étaient partis dans l’autre sens hier soir. Ils sont équipés de skis forêts (type de ski qui n’existe pas en France), de grands skis d’au moins deux mètres. Nous suivons ensuite leurs traces, ça tombe bien, nous venions justement de quitter celles de Thèques.

Panorama sur les sommets

Avec le soleil, nous pouvons faire une pause, courte, à midi pour manger. Par contre, il est impossible de marcher sans ses skis, la poudreuse est trop profonde. Nous les déchaussons pour s’assoir de suite sur les pulkas.

Arrivés à la hutte Tuiskukuru, nous nous dirigeons vers la partie « varaustupa », la moitié réservable du refuge, fermée à clé. Dans la partie libre, « autiotupa », les deux Finlandais cassent la croûte. Comme nous n’avions pas pu réserver la première hutte, nous nous étions rabattus sur celle-ci pour être sûr de passer une bonne deuxième nuit. Nous avons récupéré les clés à Kiilopää hier avant de partir. Sauf que je n’arrive pas à ouvrir la porte, Stéphane essaie, il ne fait pas mieux, Célia et Élodie non plus… Nous voilà bien. Nous demandons aux Finlandais s’il y a plusieurs clés, une astuce… L’un d’eux essaie et l’ouvre du premier coup. Ok, l’astuce c’est les muscles ! Ils reprennent leur route un peu plus tard.

Home sweet home

Le poêle allumé pour réchauffer notre petit chalet, nos affaires installées, nous passons la soirée entre nous. Les Tchèques ont continué jusqu’à la hutte suivante, notre étape de demain. C’est nettement plus confortable qu’hier, Élodie nous sort sa poêle et prépare une soirée crêpe. Inattendu et tellement bon. Il fait 25°C dans la hutte, -28°C dehors ! Quand vient le moment d’aller chercher de l’eau à la rivière ou d’aller aux toilettes, généralement distantes d’une centaine de mètres, il faut un temps fou pour se re-équiper de la tête aux pieds. À la nuit tombée, nous sortons scruter le ciel, mais il n’y a pas d’aurore boréale.

 

Jour 3 : Tuiskukuru – Luirojärvi
3h15 | 9,00km | +150/-160m

Premier levé, je sors au petit matin pour essayer de prendre quelques photos d’oiseaux. J’ai la chance d’apercevoir deux Mésangeais imitateurs qui picorent des miettes dans la neige. D’un coup, j’aperçois dans mon viseur deux rennes en approche ! Un adulte et un jeune s’avancent près de la hutte. Je rentre réveiller la troupe et ressors aussitôt pour une superbe séance photo.

Le petit nous observe

Le matin, entre le petit-déjeuner, l’eau chaude et le pique-nique du jour à préparer, toutes les couches de vêtements à enfiler, ainsi que l’équipement à ranger dans les pulkas, il nous faut près d’une heure et demie. Heureusement l’étape est courte, seulement neuf kilomètres. Si on le souhaite, nous pourrons faire l’ascension du Sokosti et de ses 718 mètres d’altitude, point culminant du Parc National Urho Kekkonen, ou simplement profiter du sauna de Luirojärvi.

Prêts, nous partons et ne faisons même pas un mètre ! Le brancard de la pulka de Stéphane vient de casser, la corde interne a lâché. La grosse poisse ! Heureusement, j’avais prévu deux cordes dans nos bagages. Elles étaient prévues pour que les filles puissent freiner les pulkas par l’arrière, en mode chasse-neige, en cas d’une descente prononcée. Le plus dur étant de la faire passer dans le brancard et la pulka. Il nous faut une heure et demie pour réussir à le réparer à l’aide d’un fil de fer, clou, ficelle… trouvés dans la hutte (une petite pièce était bloquée dans le tube) et pour nous réchauffer mains et pieds auprès du poêle.

Le vent de cette nuit a balayé toute trace, nous faisons la nôtre. Dans la montée vers le col, nous en trouvons de motoneiges, parallèles à notre direction, nous les suivons. Dans la descente, elles nous permettent de bien glisser. Mais nous nous rendons compte qu’elles tirent trop vers le Sud. Et mince, elles ne vont pas dans la bonne direction. Nous traçons une diagonale dans la poudreuse pour retrouver notre itinéraire. C’est profond !

Notre petite expédition

La température est douce et le ciel légèrement couvert, mais le panorama n’en est pas moins beau. Nous finissons par rejoindre le lac Luirojärvi et nous dirigeons vers sa rivière en amont, au niveau du pont. Surprise, celui-ci est couché sur le côté et recouvert de neige, il est impraticable. Et si les motoneiges avaient fait un large détour pour traverser cette rivière ? Par où passer ? Il n’y a que 20 ou 30 centimètres d’eau, mais la rivière est large et glaciale avec des corniches de neige de plus d’un mètre sur ses rives. D’un coup, je me souviens que lors de la préparation, j’avais vu des traces GPS qui passaient sur le lac. Nous voilà donc en train de traverser une portion du lac gelé sur 300 mètres. Le lac fait au total un kilomètre de diamètre.

Plusieurs petits chalets en bois sont implantés au bord du lac, on dirait un club de vacances déserté. Nous nous installons dans la partie réservable de la hutte. Nous avions également réservé celle-ci, car le secteur est fréquenté. La hutte se trouve à un carrefour de différents itinéraires et en plus, il y a un sauna à Luirojärvi. Après s’être installés, comme il est trop tard pour tenter l’ascension du Sokosti, nous mettons le sauna en chauffe. Il faut environ deux heures pour qu’il atteigne sa température. Je laisse mon thermomètre -50°C/+50°C quelques instants seulement à l’intérieur et il se fige sur la température maxi ! Nous profitons de ce moment de relaxation et aussi pour nous laver.

La hutte Luirojärvi est plus grande que les autres, il faut plus de temps pour qu’elle monte à température, et comme les parties réservables sont moins fréquentées, il y fait plus frais que dans les parties libres. Ce soir encore, nous avons réservé pour rien, nous sommes seuls, ou presque. Une Française arrive, Julie, et s’installe dans la partie libre. Arrivée sans aucune préparation, elle ne savait pas qu’il y avait des huttes et elle se déplace sac sur le dos, uniquement à la carte et à la boussole, elle n’a pas de trace GPS.

Dîner à la chandelle

Le ciel étant couvert ce soir, nous ne sortons pas pour tenter de voir des aurores, d’autant plus que le KP est censé n’être que de 2 (indice allant de 0 à 9 pour exprimer l’intensité des aurores polaires). Normalement, il devrait monter à 4 dans quelques jours. En cette année creuse en aurores (elles ont un cycle de 11 ans et nous sommes au plus bas), c’est assez bien. Avec un KP de 2, on ne voit qu’une trace blanchâtre, difficile à observer.

 

Jour 4 : Luirojärvi – Hammaskuru
5h50 | 14,00km | +150/-130m

Je retente ma chance au petit matin pour photographier à nouveau des animaux, mais je suis bredouille de ce côté-là. Par contre, il a neigé cette nuit et le ciel est toujours couvert, le spectacle est magique, tout est blanc sur blanc, le vent fait tomber la poudreuse des grands sapins. Le lac gelé semble s’étendre à l’infini.

Nous partons pour une journée avec peu de dénivelé, juste un petit col à passer. Nous rentrons plus profondément dans le parc, nous devrions croiser moins de monde. Bon, on ne peut pas dire, en dehors de la première hutte, que l’on ait vu beaucoup de skieurs. Juste les deux Finlandais et Julie qui prend la même direction que nous. Quant aux Thèques qui nous devançaient, ils devaient prendre la direction du Nord à partir d’ici, nous ne les reverrons plus. Cela veut dire moins de traces, nous allons devoir les faire.

Un paysage blanc

L’itinéraire remonte un fond de vallée avec sur notre gauche le Sokosti qui domine les lieux, sublime. La météo est très variable, entre ciel bleu et rafales qui soulèvent la neige du sol. À un moment, j’ai un ciel couvert, du vent et de la neige sur ma gauche, alors qu’à ma droite, j’ai un grand ciel bleu. Chaque jour, les variations du terrain, les courbes des rivières, les sapins, les cimes pelées et la météo nous plongent dans un environnement différent. Nous effectuons, comme nous nous en doutions la trace toute la journée, nous enfonçant d’une quarantaine de centimètres. Les pulkas se font sentir… Nous nous relayons régulièrement pour être le premier de la caravane.

Dans la forêt, nous remarquons plein de traces. Est-ce des skieurs ? Cela y ressemble, mais elles font des zigzags, tout en rejoignant chaque arbre et il n’y a pas de traces des bâtons ? En regardant d’un plus près, il s’agit d’empreintes de rennes. Nous en apercevons un. Il fait grand beau et chaud. Un peu trop même, il ne faut surtout pas transpirer, c’est le risque de se retrouver gelé par la suite. Nous en profitons pour nous poser sur les pulkas à fin de grignoter un morceau. Comme à chaque fois, il est impossible de se déplacer sans les skis, même pour aller au petit coin.

C’est à cinq que nous arrivons à la hutte Hammaskuru, un peu plus rustique que les précédentes. Comme à chaque arrivée, la routine se met en place et nous nous partageons les différentes tâches :

  • Décharger les pulkas, qui sont ensuite placées avec les skis sous le préau de la hutte.
  • Récupérer un sac de bois dans la réserve et allumer le poêle.
  • Avec les sceaux de la hutte, aller chercher de l’eau à la rivière ou de la neige pour la faire fondre sur le poêle.
  • Filtrer l’eau à l’aide d’un filtre à café et la faire bouillir pour préparer le thé (à refaire en soirée pour le repas du soir)
  • Prendre le goûter
  • Installer les matelas et les sacs de couchage
La mission du soir

Ce soir, nous ne sommes, une nouvelle fois, pas dérangés, seuls au monde ! Nous avons juste la visite d’un gars en motoneige qui effectue la trace entre ici et une hutte plus au Nord. Nous pourrons la suivre demain sur quelques kilomètres. Ce soir, j’ai du mal à me réchauffer. Non pas qu’il fasse froid, mais je pense que c’est un petit contrecoup de ces quatre premiers jours. Les journées restent tout de même physiques, les pulkas sont lourdes à tracter et nous faisons les étapes presque d’une traite avec des micro-pauses debout. Il est trop fatigant de décharger les pulkas et déchausser les skis… pour un temps d’arrêt très court, le froid empêche de s’arrêter plus longtemps. Nous aurons tous nos petits moments de fatigue à un moment ou un autre du séjour.

Ciel dégagé, KP à 2, nous tentons notre chance ce soir. Nous apercevons des lueurs blanchâtres dans le ciel. À l’œil nu, cela ne ressemble pas à grand-chose, mais dans le viseur de l’appareil photo, avec une pause longue, ce sont bien des aurores boréales vertes. Nos premières aurores polaires !

 

Jour 5 : Hammaskuru – Muorravaarakka
4h30 | 12,50km | +150/-200m

Comme chaque jour, je sors pour marcher un peu autour de la hutte au petit matin. La forêt est d’un calme fou, il n’y a pas le moindre bruit, le paysage est figé, comme si le temps s’était arrêté. Tout est entièrement blanc. J’ai l’impression d’avoir toute la Laponie pour moi seul.

Julie reprend la direction de Luirojärvi, quant à nous, nous prenons plein Nord. Durant les deux prochains jours, nous allons contourner un petit massif. Nous sommes dans la partie montagneuse du parc. Nous allons d’ailleurs avoir à franchir un premier vrai col aujourd’hui. Sur la carte ses courbes de niveau sont bien rapprochées. Je me demande ce que cela va donner avec les pulkas. Lors de la préparation, j’avais mis un point d’exclamation à son emplacement. Généralement cela signifie : attention, il risque d’y avoir une surprise, pas sûr qu’il y ait un passage. Si Célia connaît la signification, Élodie et Stéphane le découvrent aujourd’hui.

Entre ciel et neige

L’itinéraire débute en fond de vallée, où nous suivons la trace de la motoneige. Mais nous la quittons rapidement pour prendre de la hauteur. Le ciel est couvert, la pente est douce, dans un environnement dégagé et exposé au vent. Il n’est heureusement pas présent. La neige est ici verglacée, pas de poudreuse, les skis glissent parfaitement, nous progressons bien et les pulkas commencent à être moins lourdes. Le panorama est époustouflant, un mélange de blanc, de gris avec une touche bleutée s’entrecroisent. Nous franchissons un petit col qui domine la vallée et dans la descente, nous jouons un peu les équilibristes sur cette neige dure. Je me prends ma première gamelle.

La neige tombe, le vent souffle légèrement, nous n’avons pas froid, l’ambiance est grandiose. Par contre, pour manger, pas question de nous poser, nous gèlerions sur place. Nous effectuons la pause debout, pas plus de 10 minutes, collés à des sapins.

Nous attaquons le deuxième col, le vrai. Dans la descente, comme je le pensais, un couloir étroit se trouve devant nous, infranchissable. Depuis le début, le relief est doux, il est possible de passer un peu partout. Pas de ravin, pas de barre rocheuse… mais pas ici. Nous contournons l’obstacle par l’Ouest à la recherche d’un point de passage. Nous en trouvons un rapidement. La pente reste raide, nous pourrions tirer plus à l’Ouest encore, le terrain s’aplanit, mais nous tentons celui-ci. Nous descendons de côté, en crabe, la pente est trop raide. Célia tient la pulka par l’arrière à l’aide de la corde, afin qu’elle ne me passe pas devant. Il n’y a qu’une vingtaine de mètres négatifs, tout se passe bien.

Passage d’un col

La suite du parcours se déroule en fond de vallée, au milieu de pins arborant une belle couleur ocre et qui sont étrangement tordus. Nous avons une rivière importante de dessiner sur la carte, nous restons vigilants suite aux conseils du garde du premier jour. Mais rien à signaler pour cette fois, nous la passons sans soucis sur un pont de neige.

Nous arrivons de bonne heure, vers 14 heures. La hutte Muorravaarakka est déserte, il n’y aura personne d’autre que nous. Le secteur est moins fréquenté, la neige autour du refuge est moins tassée. Du coup, il est impossible de rejoindre les toilettes sans les skis, situées pourtant à seulement une cinquantaine de mètres. La neige est trop profonde. Près des toilettes, nous arrivons à avoir du réseau, la première fois. Nous recevons les dernières nouvelles de France, c’est le confinement ! À lire les messages, cela semble être terrible. Nous sommes loin, très loin de tout cela et n’arrivons pas imaginer ce que cela peut être. Nous apprenons également que notre vol retour Helsinki – Genève est annulé. Pourrons-nous rentrer ? Nous verrons bien, impossible de faire quoi que ce soit d’ici de toute façon.

Nous en profitons pour consulter la météo, elle devrait rester telle quel durant les prochains jours, alternant entre soleil, ciel couvert et un peu de neige, avec une température douce, autour de -5°C. Je profite que nous soyons arrivés tôt pour installer la tente. Je tiens à me faire un bivouac durant ce séjour. Je ferai chambre à part cette nuit.

 

Jour 6 : Muorravaarakka – Sarvioja
7h00 | 19,50km | +100/-60m

L’avantage du bivouac, c’est d’avoir eu une nuit dans un calme total. Pas de personne qui bouge, qui ronfle ou des bruits de matelas qui craquent. Ceux d’Élodie et Stéphane font un bruit insupportable…

Nous poursuivons plein Nord à travers un fond de vallée en longeant sa rivière. Il fait grand beau, nous nous découvrons d’une épaisseur de vêtement. À midi, en plein soleil, assis sur nos pulkas, le thermomètre affiche 20°C ! La journée est très agréable. Parfois nous suivons des traces de skieurs à moitié recouvertes, parfois non. L’étape faisant 19 kilomètres, nous sommes partis plus tôt ce matin. Elle nous sert de référence pour mesurer nos capacités car lors de notre dernier jour, nous aurons la même distance à parcourir, mais il faudra que nous arrivions à Kiilopää pour 15 heure au plus tard, idéalement 14 heure. Nous aurons notre vol retour le jour même.

Contemplation du paysage

Nous changeons de vallée et prenons maintenant plein Ouest. Pour cela, l’itinéraire traverse la rivière. Sous nos skis, nous voyons la glace et une fine pellicule d’eau à la surface… Avec la chaleur, nos skis bottent comme pas possible, ils pèsent une tonne, nous n’arrivons pas à nous en débarrasser. Que ce soit avec ou sans les peaux, le résultat est le même. Nous n’avons même pas pensé à prendre dans notre équipement de l’anti-botte… ! Nous avançons skis au plancher pour nous en débarrasser, ça finit par passer.

Une motoneige vient de nous doubler, nous suivons sa trace. Plus loin, elle passe de l’autre côté de la rivière, pourquoi donc ? Nous devrions la quitter et garder notre cap, mais nous décidons de la suivre. Pourquoi ? Fainéantise peut-être… Un kilomètre plus loin, nous nous rendons compte qu’elle s’en va vers une autre vallée, nous voilà bien. Nous sommes presque arrivés, pas question de faire demi-tour, nous traçons une diagonale pour retrouver l’itinéraire. Pour cela, il nous faut traverser plusieurs petites rivières… Nous zigzaguons entre les ponts de neige et finissons par arriver.

L’heure de la sieste

La hutte Sarvioja est la plus rustique de toutes et pas très grande. Heureusement, nous sommes encore seuls. Jamais nous n’aurions cru voir aussi peu de monde durant notre raid. Ce soir, le ciel est malheureusement couvert. Difficile d’observer les aurores, nous apercevons juste une lueur au loin à travers les sapins, mais le ciel reste gris.

 

Jour 7 : Sarvioja – Porttikoski
5h30 | 15,50km | +150/-250m

Départ à 8h50, c’est la première fois que nous partons si tôt. C’était un petit exercice pour le dernier jour, il nous faudra être matinal. Un groupe de quatre skieurs avec pulka, arrive en contresens. Ils ont passé la nuit dans une maisonnette des bois situés un peu plus loin. Équivalant à une hutte réservable, il s’agit un petit chalet en bois avec une longue toiture triangulaire. En dehors de Julie, nous n’avions vu aucun skieur depuis cinq jours.

Pour l’étape du jour, nous allons remonter la vallée étroite où la poudreuse est souvent fort présente. La vallée que le garde du parc de Kiilopäâ nous avait déconseillée. Nous avons bien examiné la carte hier soir et choisi notre stratégie pour la franchir. Pas question aujourd’hui de suivre des traces à l’aveugle et de se retrouver hors de notre itinéraire.

Des cristaux de neige

Le ciel est couvert, mais nous allons vite avoir chaud. Rapidement, nous prenons la direction d’un col en suivant un itinéraire d’été et en effectuant notre propre trace. À skis, la pente est raide, 90 mètres de dénivelé à grimper. Durant la montée et au col, la vue sur le parc est superbe. C’est une immense étendue qui s’élance devant nous. Au col, le vent souffle, les sapins sont complètement givrés. Pour la descente, pas question de la prendre de face. Nous optons pour une descente en diagonale, très légère, afin de bénéficier de la pente pendant longtemps et surtout, rejoindre le fond de vallée le plus tard possible. Un renne croise notre route.

Sans soleil et par -5°C, nous n’avons pas froid en skiant, mais pour la pause, nous mangeons debout, et rapidement. Le fond de vallée atteint, la neige est effectivement profonde, mais rien d’exceptionnel. Nous retrouvons les traces des Tchèques qui ont dû passer il y a quelques jours. Nous les reconnaissons facilement. Quatre gaillards chargés d’un lourd sac à dos, cela laisse de beaux rails bien enfoncés. Le problème, c’est qu’avec les pulkas, elles sont très pénibles à suivre. Les pulkas basculent sans cesse sur le côté. Par moments, nous skions au-dessus de la rivière, parfois d’un petit lac, nous ne savons pas toujours ce qui se trouve en dessous de nous. Si le début de la vallée était un peu monotone, la fin est superbe.

Malgré les difficultés du jour, nous arrivons de bonne heure, vers 14h30. Nous skions de mieux en mieux. La hutte Lankojärvi est plus petite que les précédentes mais elle est pleine de charme. Nous espérons que nous serons encore seuls ce soir. Elle est en plus située au bord d’une rivière ouverte (non recouverte par la neige). L’avantage, c’est que nous n’avons pas besoin de faire fondre de la neige pour avoir de l’eau, c’est comme si nous avions l’eau courante. Dans le journal de la hutte, nous trouvons un mot des Tchèques, ça a été un enfer pour eux pour arriver jusqu’ici, la neige était très poudreuse. Apparemment, ils auraient eu de la neige jusqu’au torse.

Lumière du soir sur la hutte

Le ciel se découvrant, nous sommes gâtés par un coucher de soleil offrant de ravissantes couleurs sur la neige. Ce soir devrait être le soir des aurores boréales. La vue autour du refuge est bien dégagée avec la large rivière, le KP est le plus élevé du séjour, il devrait être de 4, et il n’y a pas un nuage.

Nous avons à nouveau un peu de réseau, les messages fusent, tout le monde nous dit de rester ici. C’est l’apocalypse en France ? De toute façon, nous n’avons plus pour l’instant de vol retour. Je consulte également les prévisions du KP, il a chuté ! Il sera de 2.8 ce soir et restera à 2 pour les prochains jours. Je suis dégoûté, cela devait être le grand soir. Nous n’apercevons qu’une lueur blanchâtre dans le ciel. Nous n’aurons plus d’autre occasion.

 

Jour 8 : Porttikoski – Lankojärvi
2h30 | 6,00km | +20/-0m
2h00 | 6,00km | +220/-220m

Il a fait frais cette nuit dans la hutte, 5°C. Dehors, pour ma séance photo, ça pique. Nous avons une toute petite étape, six kilomètres seulement, soit une demi-journée. Cela nous permettait d’avoir une demi-journée de sécurité en cas de besoin. Durant notre boucle, nous aurions pu être bloqués par la météo ou fatigués et progresser plus doucement…

Repartis pour une nouvelle journée

Peu de kilomètres, pas de dénivelé, l’étape s’effectue rapidement. Nous prenons notre temps, il fait grand beau. Nous en profitons également pour faire une séance photo tous ensemble, cela demande une certaine mise en place et logistique. Réussir à poser à quatre, sans voir la trace de celui qui déclenche la photo, dans la limite de temps du retardateur, est tout un art. Nous suivons la rivière, passons quelques ponts de neige pour atteindre le lac Lankojärvi. Il est gelé, nous le traverserons en plein milieu sur 750 mètres pour atteindre la hutte située sur l’autre rive.

Après s’être installés et avoir cassé la croûte, Célia, Stéphane et moi, partons pour une petite balade vers un sommet. Sans les pulkas, nous nous sentons légers. Même si elles sont bien allégées depuis le premier jour, les tirer à longueur de journée reste physique. Au bout de huit jours, je maîtrise mieux l’engin, mais au début, son balancement d’avant en arrière lors de la marche, me donnait des douleurs dans le bas du dos. Nous prenons la direction du Lankopää qui culmine à un peu plus de 500 mètres d’altitude. Nous nous arrêtons un peu avant, vers 410 mètres sur un plateau qui offre une vue panoramique sur le Parc National Urho Kekkonen. La vue est dégagée jusqu’au Sokosti.

Nous sommes encore seuls ce soir, nous n’y croyons pas. Pourtant la hutte se situe au carrefour de chemins, en provenance de Kiilopää et de Saariselkä, mais aussi du Sud, notamment de Luirojärvi. Finalement, trois Finlandais arrivent. Voyant que nous sommes installés, ils téléphonent pour effectuer une réservation et le paiement pour des couchettes dans la partie réservable. En Finlande, les réservations et les paiements sont fondés sur la confiance. Une couple arrive à la tombée de la nuit, dans la partie réservable. Nous avons encore la hutte pour nous seuls !

Le grand spectacle des aurores boréales

Le lac gelé offre une grande surface dégagée pour observer le ciel. Nous sortons voir si quelques lueurs blanchâtres sont présentes. Nous regardons vers le Nord, en direction du Pôle, une aurore boréale se forme… Nous n’y croyons pas, elle est bien visible et verte. Elle grandit, s’étire dans le ciel, passe au-dessus de nous et s’élance en direction du Sud. Le spectacle est exceptionnel, le ciel est recouvert d’une lumière verte. D’autres aurores suivent, elles sont en mouvement permanent, prenant différents aspects, formes… C’est une explosion lumineuse qui s’opère. Nous ne pouvions pas rêver d’une plus belle soirée d’observation. Il fait -21°C, j’ai revêtu toutes mes couches de vêtements. Pour prendre les photos, je suis obligé de retirer mes moufles en duvet. Au bout d’une heure, j’ai les mains frigorifiées. Nous avons des chaufferettes, mais nous ne pensons même pas à les utiliser, trop éblouis par le spectacle. Nous retournons dans la hutte. Nous ressortons aussitôt, une fois réchauffé, la soirée est magique. Je pourrais continuer comme cela toute la nuit, mais demain nous avons un départ matinal et une grosse étape.

 

Jour 9 : Lankojärvi – Kiilopää
6h00 | 19,00km | +410/-280m

Il est 7 heures et il fait -28°C, c’est la première fois que nous allons skier par une telle température. Pas question de rester statique ! Après avoir préparé les pulkas et positionnér les skis, nous rentrons nous réchauffer quelques instants. Une fois tout le monde habillé et prêt, nous sortons tous en même temps, sautons sur nos skis et partons rapidement. Il fait grand beau, les sapins sont givrés, le paysage est splendide. Nos visages ne tardent pas à givrer également.

En gardant le rythme et bien emmitouflés dans nos vêtements, nous n’avons pas froid. Par contre, dès que l’on s’arrête pour prendre une photo, qu’il faut retirer les moufles, ça pince. Une grande étape nous attend pour cette ultime journée. Pas moins de 19 kilomètres, avec un col à passer peu avant l’arrivée, culminant à 415 mètres d’altitude. Heureusement, nous n’aurons pas de neige profonde aujourd’hui. Étant proche de Kiilopää et de Saariselkä, il y a du passage, les traces des précédents skieurs sont bien marquées. Puis, nous rejoignons les pistes de ski de fond de Kiilopää. La neige glisse bien.

Paysage lapon

Premier point de passage après un peu plus de deux heures de ski, la hutte de jour Rautulampi située au bord d’un lac. Mais celle-ci a brûlé, il ne reste que les toilettes. Pas de surprise, nous étions au courant. Par contre, nous découvrons qu’un grand dôme en toile a été installé pour la remplacer. Quel confort, nous en profitons pour faire une pause à l’abri.

Nous traversons le lac gelé, poursuivons sur les pistes de ski de fond dont le damage est de plus en plus beau, une véritable autoroute ! Nous croisons quelques personnes, nous nous attendions à voir plus de monde. Nous arrivons ensuite à la hutte de jour Luulampi. Il s’agit d’une hutte snack-bar. Nous ne savons pas pourquoi, mais le service de restauration est exceptionnellement fermé aujourd’hui. La porte restant ouverte, nous pouvons au moins nous installer à l’intérieur pour manger. Nous apprenons, au-près d’autres personnes que la station va fermer dans les prochains jours. Les hôtels, restaurants, commerces… tout va fermer. C’est pour cela qu’il y a peu de monde sur les pistes. Nous avons vraiment de la chance côté timing. Nous avons quitté la France avant que tout ne soit bloqué et nous allons quitter la Finlande avant qu’elle ne ferme à son tour. Résultat, nous avons eu le Parc National Urho Kekkonen quasiment pour nous.

Nous sortons des traces de fond pour prendre la direction du col. La grimpette est raide. Nous quittons l’altitude des sapins pour un plateau pelé. Le vent souffle sur les hauteurs, une immense étendue blanche nous fait face, nous avons l’impression d’être au Pôle Nord. Le passage est des plus beaux et il offre une dernière vue sur le parc. Jusqu’au bout, ce raid à skis nous aura émerveillé par sa variété de paysages. Le col passé, il nous reste plus qu’une longue descente pour rejoindre Kiilopää.

Il est 14 heures, nous avons deux heures devant nous avant la navette pour l’aéroport. Cela nous laisse le temps de rendre l’équipement, prendre une douche, de dispatcher notre équipement dans les différents bagages, cabine et soute, ainsi que de prendre un peu plus conscience de la situation en France et de commencer à chercher une solution pour rentrer. L’ambiance au Feel Center n’est plus la même qu’a notre arrivée. Peu de monde, les canapés ont disparu, le sauna est fermé, le restaurant est interdit à ceux qui n’ont pas une réservation pour la nuit… Heureusement, il nous reste encore un peu de nourriture.

L’arrivée après 9 jours

Encore ue fois, nous aurons énormément de chance. À Helsinki, il ne reste quasiment plus de vol au départ sur le tableau d’affichage. Nous arriverons tout de même à ce que la compagnie nous place sur un vol pour Paris, puis sur un second pour Genève (notre voiture s’y trouve). Après ces 10 jours de liberté totale, nous nous retrouvons confinés dans notre appartement pour plusieurs semaines. Heureusement, nous pouvons continuer à nous évader en triant nos photos et en écrivant ce récit.