Le récit
Mare e Monti en Sardaigne – Gennargentu, Supramonte et golfe d’Orosei
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Jour 1 : Arbatax – Serra e Lione
4h45 | 18,5km | +465/-285m
Arbatax est une ville portuaire située sur la côte Est de l’île. Nous montons à bord du Trenino Verde, un petit train touristique qui, à vitesse lente, conduit ses passagers du bord de la mer au massif du Gennargentu à 800 mètres d’altitude. En chemin, il s’arrête à deux reprises dans des villages de montagnes isolés. A chaque intersection avec une route, ou une simple piste, le train ralentit, il ne va déjà pas bien vite. Deux agents descendent pour bloquer l’éventuelle circulation. Cela fait sourire les quatorze passagers sous leur masque. Covid19 oblige, nous sommes masqués. Arrivés à la gare abandonnée de Villagrande, nous sommes évidemment les seuls à descendre. Une ferme, quelques cochons, il n’y a rien d’autre autour de cette station isolée
Il est midi, nous commençons la marche. Il reste encore douze kilomètres à parcourir sur une petite route, avant d’atteindre le départ du sentier. Ce n’est pas le plus intéressant, mais le paysage est sympa, nous longeons le grand lac Alto del Flumendosa. Une voiture passe, nous en profitons, elle nous avance de cinq kilomètres. Ce gain de temps nous permet d’effectuer une petite boucle supplémentaire fort sympa, dans les gorges de Pirincanes. Roches colorées, cascades, piscine naturelles aux eaux transparentes, cette vallée étroite est une belle porte d’entrée pour nous mettre dans l’ambiance de notre Mare e Monti en Sardaigne.
Sortis de la gorge, il nous faut chercher un endroit pour le bivouac. Nous le trouvons une heure plus tard, après 300 mètres de dénivelé positif bien raide, dont une bonne partie en hors sentier, en suivant des traces d’animaux sauvages. Nous apercevons d’ailleurs deux daims. Nous installons la tente sur la large crête Serra e Lione, qui nous offre un magnifique coucher de soleil sur le relief montagneux.
Jour 2 : Serra e Lione – Agriturismo Separadorgius
6h30 | 19,5km | +875/-650m
Cette journée nous conduit sur la grande ligne de crête du Gennargentu. Nous prenons de l’altitude, dans un environnement qui se fait de plus en plus montagneux. Nous naviguons au milieu de grands blocs de granite où des mouflons se cachent. En haut, nous passons quelques petits sommets, et faisons un petit détour pour rejoindre une fontaine, l’eau est rare. Dans ces régions chaudes et sèches, il ne faut pas les louper. Hier, nous avons fait la bêtise de ne pas prendre d’eau à la rivière des gorges de Pirincanes, nous avons dû nous restreindre au bivouac.
Nous atteignons la Punta La Marmora et ses 1 833 mètres d’altitude. Surmonté d’une grande croix, ce sommet est le point culminant du massif de Gennargentu et de toute la Sardaigne. Il domine les lignes des crêtes et les vallées. Trois, quatre randonneurs arrivés de la station de ski sont également présents. Il n’y a pas foule dans ces montagnes, c’est le seul endroit du Gennargentu où nous croiserons quelques personnes. L’étape se poursuit sur les hauteurs, sur un sentier bien marqué, puis plus confus sur la fin. Nous nous retrouvons à passer, repasser des clôtures de barbelés. Les vaches sont très présentes, depuis hier, nous ne cessons pas d’en croiser.
Arrivés à la ferme-refuge agritouristique Separadorgius, nous demandons si nous pouvons bien passer la nuit et manger, le lieu ne ressemble pas trop à un refuge. Elle est tenue par la famille Cugusi. Raffaele, le grand-père d’environ 90 ans, porte le même nom que son ancêtre. Il nous raconte qu’il est le petit-fils de Raffaele Cugusi, premier guide du Gennargentu à la fin des années 1800, début 1900. Il emmenait ses clients, venant d’Italie et surtout de l’étranger, à la Punta La Marmora, ainsi qu’à la chasse aux mouflons. Il était également le gardien du refuge situé sous le sommet, dont il ne reste plus que des ruines aujourd’hui. L’ambiance à l’intérieur est rustique, avec des vieilles photos en noir et blanc et des vieux objets du monde agricole et montagnard. Nous sommes plongés dans un autre monde. Quant au repas, il est copieux et délicieux avec des produits locaux : antipasti composé de charcuterie, de fromages et d’olives, entrée de pâtes, pour le plat, un ragoût de sanglier avec des pommes de terre sautées et des figues pour le dessert !
Jour 3 : Agriturismo Separadorgius – Monte Novo San Giovanni
8h45 | 23,5km | +1 095/-1 230m
Nous prenons de la hauteur sur une nouvelle ligne de crête. Le ciel est gris, le vent frais, nous sortons les vestes. Pour cette randonnée, normalement sous le soleil constant, nous avons prévu une tenue et un équipement léger. Malgré la grisaille, le panorama est magique et nous sommes seuls au monde. La roche sculptée, érodée, est de toute beauté. Sur la fin, pour rejoindre le col routier Arcu Correboi, nous progressons en hors sentier, il n’y a ni trace ni chemin dans le secteur. Au col, nous nous abritons sur le côté d’un bâtiment abandonné pour casser la croûte et se reposer. L’étape est longue aujourd’hui et nous sommes à peine à la moitié. Plus aucune voiture ne passe par ici, un tunnel traverse la montagne juste en dessous de nous, à plusieurs dizaines de mètres.
Le début d’après-midi nous offre un beau lot de dénivelé, l’itinéraire coupe plusieurs vallons perpendiculairement. C’est très beau, verdoyant, les mûres sont juteuses, un cours d’eau permet de nous rafraîchir, nous apercevons un serpent et passons une belle chèvrerie, mais nous n’en voyons pas le bout. Quand d’un coup, le paysage change radicalement, nous passons du Gennargentu au massif du Supramonte. Nous en prenons plein les yeux !
Face à nous se dresse le Monte Fumai, caché derrière lui doit se trouver le Monte Novo San Giovanni, puis plus loin, nous apercevons la ligne de crête de demain qui devrait nous donner du fil à retordRe et dans l’horizon, le Monte Corrasi et la Punta Sos Nidos, les principaux sommets du Supramonte. Il est 17 heures et nous en avons plein les jambes, nous nous motivons pour gravir le Monte Fumai. Heureusement ! Le panorama sur le Monte Novo San Giovanni est splendide, illuminé parfaitement par le soleil. Avec sa forme carrée, il est facilement identifiable et intrigant.
Nous redescendons sur l’autre versant, jusqu’à rejoindre une fontaine. Nous avons perdu pas mal de dénivelé, mais nous avons pu faire le plein pour la soirée et demain matin. Au parking, au pied du Monte Novo San Giovanni, plusieurs voitures sont là. Nous espérons que la cabane ne soit pas complète… Pendant que nous grimpons le sommet, les personnes le redescendent. Elles sont simplement venues admirer le paysage en fin de journée. En haut, le spectacle est encore plus grandiose que depuis le Monte Fumai. Le panorama sous le soleil couchant est une véritable merveille. En contrebas, nous apercevons le Monte Su Biu. Troisième montagne cubique du plateau, elles forment un alignement parfait, avec le Monte Fumai et le Monte Novo San Giovanni.
Notre plus grosse journée de cette randonnée est bien récompensée. Nous profitons du soleil couchant, assis sur le banc devant la cabane, seuls. Située sur la partie, la plus haute de cet énorme bloc rocheux, elle est très ravissante, tout en bois et bien aménagée. Elle n’a pas contre pas de couchette. Nous installons nos matelas sur le sol. Pas de chance, le mien percera, je me retrouverai à plat durant la nuit…
Jour 4 : Monte Novo San Giovanni – Scala Cazzamene
8h00 | 22,5km | +680/-850m
Les premiers rayons du soleil nous réveillent. Dehors, le panorama est toujours aussi beau à l’aube. Nous redescendons du rocher et poursuivons vers le suivant, le Monte Su Biu. Nous apercevons nos premiers cuiles. Le cuile est un abri de berger local sommaire. Cette hutte traditionnelle est formée d’une base en pierre circulaire, surmontée d’un toit pentu réalisé avec des branches de genévriers. Avec le temps, certains ont été aménagés, transformés en belle maisonnette, et d’autres ont gardés leur aspect d’antan.
Au pied du Monte Su Biu, ses parois forment une niche. Nous y découvrons plusieurs énormes nids, de forme circulaire, réalisés avec des grosses branches et des poils de chèvres au centre. L’ouvrage est trop imposant pour avoir été réalisé par des oiseaux. Nous n’avons aucune idée de ce que cela peut être. Pas d’ascension pour ce sommet, nous le contournons par l’Est en hors piste, au plus près des parois rocheuses.
A midi nous nous posons à la fontaine Sa Senipida. L’eau étant rare dans la région, dès qu’une source d’eau est présente, une fontaine est aménagée. Souvent, comme ici, une aire de pique-nique est présente, l’ensemble protégé dans un grand enclos pour éviter que les animaux d’élevage, laissés en liberté, n’y pénètrent. Il y a ici beaucoup de cochons semis-sauvages. Je profite de la profusion d’eau et des grandes tables à pique-nique pour localiser la fuite de mon matelas et le réparer. Nous en profitons également pour nous laver, première douche et lessive depuis quatre jours. Avec la chaleur, en vingt minutes, tout est sec.
Nous arrivons à l’un des deux passages les plus sauvages de notre traversée, une ligne de crête à longer à son pied. Un tronçon dont nous savons d’avance qu’il va nous donner du fil à retordre. Sauvage, car il n’y a pas de sentier, même si étrangement il y en a un de dessiné sur notre carte. A peine cinq kilomètres à vol d’oiseau, mais nous allons mettre presque quatre heures pour les franchir. Sur le premier kilomètre, tout va bien, nous suivons même un sentier, puis plus rien. Nous tournons un peu en rond, cherchons la meilleure trajectoire à prendre pour éviter le relief et donc les dénivelés. Ne pas monter trop haut non plus sur la crête. Nous restons à mi-hauteur, en passant à travers la végétation et des champs de lapiaz.
Le ciel se fonce, quelques gouttes tombent. Nous en rigolons presque, c’est à ça que ressemble une averse en Sardaigne ! Puis, d’un coup, s’ensuit un déluge comme nous nous en sommes rarement pris. Un mélange de pluie et de grêle qui nous trempe en quelques minutes. Impossible de continuer, le terrain sur les lapiaz devient trop dangereux. Impossible de monter la tente avec la végétation et la pente. Nous sortons le double-toit de la tente et nous mettons en boule sous celle-ci. Nous entendons le ciel gronder, le tonnerre se rapproche, les éclairs résonnent dans la montagne. Nous restons là, accroupis pendant plus de trois-quarts d’heure.
Trempés, nous reprenons la marche sur ce terrain délicat. Nous avançons avec prudence sur les lapiaz et contournons les bosquets de végétation pour ne pas se prendre de nouvelles douches. Nous apercevons un sanglier, petit moment de joie dans la difficulté. Au bout, nous débouchons sur un plateau et retrouvons un semblant de piste. Impossible de dormir dans le secteur, tout est détrempé. Nous décidons de poursuivre vers un cuile à l’écart de l’itinéraire, où pourrait se trouver un bassin d’eau. Quarante minutes plus tard, nous y arrivons. Il est en ruine, il n’y a pas d’eau et tout ici est également détrempé. Nous n’avons pas le choix de continuer. Nous avons repéré du balisage, nous le suivons.
A 19h30, pour le coucher du soleil, nous repérons une petite hauteur sur le bord du massif, offrant une magnifique vue sur la vallée et la ville illuminée d’Orosolo. Quelques mètres carrés plats et sans végétation épineuse nous permettent d’installer notre bivouac avant d’être plongés dans le noir. Un très beau bivouac pour terminer cette après-midi chaotique.
Jour 5 : Scala Cazzamene – Monte Maccione, Hotel ENIS
4h15 | 13,0km | +560/-995m
Presque secs, en dehors des pieds, nous poursuivons sur le sentier balisé trouvé hier soir. Il semble prendre la bonne direction. Nous croisons quelques cochons semi-sauvages et mouflons en chemin. Depuis le début, le bétail laissé en liberté dans les montagnes est très présent : vaches, ânes, cochons, chèvres et moutons, ces derniers sont généralement accompagnés d’un ou plusieurs chiens. Pour les animaux sauvages, nous apercevons surtout des mouflons, presque tous les jours, mais ils sont très craintifs. Nous n’arrivons pas à les photographier.
Le soleil brille et le Monte Corrasi nous fait face. Avec ses 1 463 mètres d’altitude, il est le plus haut sommet du massif calcaire du Supramonte. Le sentier qui nous y conduit est de toute beauté, la roche sculptée est partout présente.
Au sommet, nous croisons trois jeunes randonneuses italiennes. C’est l’unique groupe que nous croisons avec une tente sur le dos. Nous leur souhaitons bien du courage, le ciel commence à tourner. Espérons pour elles que la pluie ne soit pas aussi violente qu’hier. Quant à nous, nous prenons la direction de la descente d’un bon pas. Il nous reste 760 mètres de dénivelé négatif pour gagner notre hôtel et éviter la pluie. L’arc rocheux formé par les sommets Monte Corrasi et Punta Sos Nidos est sublime. Nous baignons une nouvelle fois dans un tout autre paysage que ce que nous avons découvert jusqu’à maintenant.
Nous arrivons à l’hôtel ENIS pour midi, avec les premières gouttes de pluie. Perché en pleine montagne sous le Monte Maccione, il n’est accessible que par une petite route de montagne. Une chambre confortable, une douche chaude et surtout nous récupérons notre carton de nourriture. Nous sommes passés la semaine dernière, en voiture, pour déposer l’un de nos deux colis de ravitaillement. Car durant nos 13 jours de marche, nous ne passons aucun village. L’après-midi est consacré au repos et nous profitons d’avoir du réseau pour consulter la météo et organiser nos prochaines étapes en conséquence. La pluie devrait continuer…
Jour 6 : Monte Maccione, Hotel ENIS – Rifugio Sa Oche
4h45 | 12,5km | +695/-1 190m
Il nous faut remonter 500 mètres de dénivelé descendus hier, pour revenir en haut du massif. Nous atteignons ensuite le deuxième sommet du Supramonte, la Punta Sos Nidos et ses 1 348 mètres d’altitude. Quelques mouflons sont présents. La mer de nuage monte, nous sommes pris dans le brouillard. De belles percées lumineuses nous laissent contempler le panorama. Nous évoluons dans un univers très minéral, sur des champs de lapiaz, mais cette fois, l’itinéraire est balisé. Il s’agit du premier vrai balisage depuis le début.
Nous passons de nombreux cuiles, tous plus beaux les uns que les autres. Sachant maintenant que la pluie peut arriver à tout instant, nous nous arrêtons pour le midi à proximité de l’un deux. En cas d’averse, nous serons protégés. Outre de protéger de la pluie, leur conception en bois et en pierre permet également de s’abriter de la chaleur, il fait toujours bon à l’intérieur d’un cuile.
Le massif Supramonte compte également de très nombreuses grottes, c’est un paradis pour les spéléologues. Loin de nous l’idée de faire de la spéléologie, mais plusieurs d’entre elles sont accessibles facilement. Au cuile Orgoi se trouve l’une d’elles. Entrée large, une descente raide descend dans le noir. C’est notre première, le terrain est glissant, nous n’allons pas très loin. La journée est très variée, nous passons également nos premières ruines de la culture nuragique, peuple qui habitait la Sardaigne de l’an -1800 à -300. Les sites historiques sont très présents sur l’île.
Après avoir marché d’un bon pas, par crainte de se prendre la pluie, nous arrivons au Rifugio Sa Oche. Nous avions prévu d’aller bien plus loin, mais le temps est trop incertain et il n’y a plus de lieu de bivouac possible avant un bon moment. Même s’il s’appelle Rifugio, il ne s’agit pas d’un refuge, mais simplement de la billetterie-buvette pour la visite de la grotte Sa Oche. Le gars est très sympa et nous autorise à nous installer sous le préau du bâtiment dès qu’il aura fermé. Il y a bien une aire de pique-nique juste à côté, mais un orage est annoncé pour cette nuit, le sol risque d’être détrempé. 17h45, l’orage éclate, les quelques touristes présents remontent à bord de leur voiture et s’en vont. Nous passons la soirée au sec et dormons à la belle étoile, avec un toit sur la tête. Il pleuvra quasi non-stop jusqu’au lever du jour.
Jour 7 : Rifugio Sa Oche – Cuile Sa Conzadura
7h45 | 24km | +1 445/-870m
Réveil moite dans la brume, on se croirait en Equateur. Dans cette ambiance chaude et humide, la montée raide vers sur le Monte Tiscali est rude. Peu avant le sommet se trouve une bifurcation, à droite la suite de notre itinéraire, à gauche le sommet avec le site archéologie de Tiscali, un village nuragique bâti dans une grotte à ciel ouvert. Célia reste avec les sacs pendant que je fais l’aller-retour jusqu’au site situé à 15 minutes. J’arrive en même temps qu’une autre personne, il s’agit du gardien. Je n’y crois pas, une personne monte ici à pied tous les jours, l’accès est payant, cinq euros. C’est raisonnable, mais je n’ai pas mon sac, il ne veut rien entendre, je ne peux pas rentrer. Pas le temps de refaire un autre aller-retour, la journée va être suffisamment longue, dommage…
Nous poursuivons la montée aux pieds d’impressionnantes parois rocheuses colorées. Des arbres tortueux sont suspendus dans le vide, et quelques mouflons agripés à la parois. Le ciel brumeux se lève petit à petit, l’atmosphère est belle, mais nous n’arrivons pas à voir si le voile va laisser place au soleil ou à une averse. Nous marchons d’un bon pas. Au plateau Donanigoro, le paysage change radicalement, tout est plat ! En dehors des vaches, des ânes et d’un serpent, il n’y a personne dans les environs. De nombreux magnifiques cuiles, avec chacun leur petite particularité, on été construits dans le secteur. Nous profitons de l’un d’eux et des rayons du soleil pour notre pause déjeuner.
Nous effectuons un petit détour par la formation géologique Dolina Su Sercone. Un gouffre impressionnant, issu de l’effondrement d’une gigantesque cavité karstique. Il mesure 500 mètres de diamètre pour 200 mètres de profondeur. Nous quittons le chemin balisé que nous suivions depuis avant-hier soir, pour une coupe maison. Descente d’éboulis, passage d’une petite vire et nous plongeons dans le fond d’un canyon étroit. Perdus au milieu de nulle part, nous entendons des voix. Il s’agit de Pavel et Philippe, ils sortent juste d’une grotte qu’ils viennent d’explorer. Pavel nous avait donné plein de petites infos lors de la préparation, notamment ce passage. Nous avions prévu de nous retrouver dans le secteur, au cuile de ce soir, nous ne pouvions pas être plus synchros.
Nous sortons du canyon ensemble, jusqu’à la Nuraghe de Gorropu, une tour ronde en pierre datant de la culture nuragique. Edifice de défense, religieux ou d’habitat, leur fonction n’est pas certaine. Nous poursuivons notre chemin de notre côté, pour nous retrouver ce soir, et rejoignons la spectaculaire gorge de Gorropu. La Gola Su Gorropu est un canyon de 500 mètres de haut, le plus profond d’Italie et l’un des plus profonds d’Europe. La traversée de la gorge s’effectuant par une via ferrata, nous la contournons pour atteindre la sortie de cet étroit passage demain. Pour l’instant, nous remontons son aval, agrémenté de piscines naturelles, de cascades et de splendides parois rocheuses. La grimpette est rude sous le soleil de plomb.
La journée se termine au cuile Sa Conzadura, où nous retrouvons Pavel et Philippe. Nous allons enfin passer une nuit dans un magnifique abri sarde, nous installons matelas et sacs de couchage à l’intérieur. Le coin est bien aménagé et nous profitons de cette belle soirée en extérieur, avec une bière locale, une Ichnusa non filtrata.
Jour 8 : Cuile Sa Conzadura – Pirastru
6h45 | 16,5km | +555/-1 020m
Il faisait 16°C cette nuit, il fait toujours frais dans les cuiles. La vague de mauvais temps est maintenant passée, nous ne connaîtrons que le ciel bleu et le soleil jusqu’à la fin. Ce matin, nous reprenons de la hauteur et rejoignons la Punta Cucuttos à 888 mètres d’altitude. Le sommet surplombe la gorge de Gorropu. Il offre une belle vue plongeante sur la rivière Flumineddu, notre aquatrek. Les cuiles sont toujours aussi présents, c’est fou la quantité d’abris qui ont été construits dans le massif du Supramonte. La montée se poursuit le long de la crête jusqu’à 1 200 mètres d’altitude, dans un environnement minéral. A l’Est, la vue est à-pic, donnant sur la grande vallée boisée de Flumineddu et la suite de notre parcours. A l’Ouest, nous voyons presque l’intégralité de notre parcours, du massif du Gennargentu au Sud, jusqu’au Monte Corrasi et la Punta Sos Nidos au Nord, en passant par les trois monts, le Monte Fumai, le Monte Novo San Giovanni et le Monte Su Biu.
Nous basculons de l’autre côté de la crête pour descendre vers le col routier Grenna Silana. Nous récupérons au bar-restaurant du col notre deuxième carton de nourriture. Nous en profitons également pour y manger. Si nous n’avions croisé que quelques personnes occasionnellement depuis le début, il y a un peu plus de monde ici. La Gola Su Gorropu est un lieu touristique qui attire. Mais dans cet été exceptionnel, dominé par le Covid-19, cela reste raisonnable. Nous effectuons la descente jusqu’à l’entrée de la gorge, c’est surtout là que la foule est présente. La gorge est spectaculaire, dans ce fond de canyon, il fait très chaud et les piscines naturelles semblent être très appréciées. Nous ne nous y arrêtons pas et entamons notre aquatrek, nous revoilà seuls au monde ! Plutôt que de suivre le sentier qui longe la rivière Flumineddu dans les bois, nous restons dans son lit. L’ensemble de notre équipement est protégé dans des housses étanches et nous avons placé en plus un grand sac-poubelle à l’intérieur du sac à dos. En maillot de bain, chaussures aux pieds, nous progressons dans l’eau, parfois jusqu’aux hanches. Certaines piscines sont plus profondes, nous pourrions nager, mais avec le poids des sacs à dos, nous les contournons. Durant deux heures et demie, nous progressons tantôt au milieu de gros blocs rocheux, ou dans un lit calme, parfois à travers la végétation ou de belles piscines naturelles.
A la sortie de l’aquatrek, il n’y a pas énormément de choix pour un bivouac et les moustiques sont présents dans ce fond de la vallée. Avec les pieds et chaussures mouillés, nous ne pouvons pas non plus nous permettre de poursuivre trop loin, une longue montée nous attend. Nous repérons une maison abandonnée un peu plus en hauteur sur la carte, nous devrions trouver un replat. Quelques moustiques sont encore présents, mais l’endroit est plat et offre une magnifique vue sur la gorge.
Jour 9 : Pirastru – Cala Luna
6h45 | 21km | +800/-1 155m
Nous quittons la vallée et remontons jusqu’à la grande route. La montée continue jusqu’à atteindre un petit col dominé par l’Arco Suttaterra, une belle arche rocheuse. Sur l’autre versant, nous descendons vers la forêt enchantée de Ghivine. Une forêt calme et reposante, qui contraste avec la suite de l’itinéraire. Nous nous lançons dans un nouveau passage hors sentier. Dans un environnement redevenu minéral, il nous faut gravir éboulis et dalles rocheuses en direction d’une brèche. C’est pentu, la montagne est abrupte et impressionnante, les photos en sont spectaculaires. Cette grimpette est superbe et s’effectue bien. Quelques mouflons passent.
Il est déjà midi passé lorsque nous atteignons cette nouvelle crête, au loin, la mer est visible. Après une petite pause pour se restaurer et se reposer, nous attaquons la descente qui devrait être plus délicate. A traverse de grands lapiaz et champs de pierres, nous entamons la descente. Nous gardons le cap au GPS, il n’y a rien d’autre pour nous orienter. La première moitié de la descente est casse-pattes, mais s’effectue bien. Arrivés au niveau de la vire, ça se complique. Nous tentons à trois reprises de trouver le passage, mais rien, nous nous retrouvons bloqués et rebroussons chemin. Il y a du vide, il est facile de se faire coincer par le relief, je ne sens pas ce passage. Célia est plus confiante. Il nous reste encore 300 mètres de dénivelé à descendre pour atteindre le fond du canyon de Luna.
Au loin, à environ 500 mètres sur une petite arête, je repère ce qui semble être un sentier. La direction n’est pas trop mal, dans son axe se trouve à un kilomètre un bâtiment d’où débute une piste, d’après la carte. De là, nous devrions trouver un itinéraire pour nous permettre de rejoindre la vallée de Luna. Ce vieux sentier qui ne semble plus très emprunté est superbe, dallé de pierres, et bingo, en plus de passer près d’un réservoir d’eau, il nous conduit à une ferme. Nous suivons, pistes, chemin et par un petit canyon étroit, nous atteignons celui de Luna. Les parois colorées illuminées par les rayons de soleil de fin de journée sont resplendissantes.
Nous arrivons à la magnifique plage de sable fin de Cala Luna vers 17 heures. Baignade et repérage du lieu, nous attendons que la foule s’en aille. A 18 heures, la dernière navette quitte la plage, accessible uniquement en bateau ou à pied, elle est déserte. Deux grandes grottes sont présentes sur la plage, elles font un beau spot de bivouac. Avant de nous installer, nous rejoignons le bar-restaurant de la plage. Avec un groupe de randonneurs slovaques d’une agence, nous nous y installons pour la soirée et y mangeons. Dans la grotte, nous pensions dormir directement sur le sable, face à la mer, mais celui-ci est trop tassé, il n’est pas confortable. Nous finissons par sortir les matelas. A minuit, ce sont les (quelques) moustiques que nous ne supportons plus. Nous nous relevons une seconde fois pour installer la chambre de la tente à la lumière de nos lampes frontales.
Jour 10 : Cala Luna – Bacu Sa Ena
5h00 | 16km | +835/-730m
Le lever de soleil sur la mer depuis la grotte est de toute beauté. Nous profitons de ce moment magique et prenons notre petit-déjeuner face à la mer. Nous quittons la plage avant l’arrivée des premiers bateaux.
Nous prenons de la hauteur sous un beau soleil. L’étape est un condensé du Supramonte. Un chemin dallé de pierres offre une superbe vue sur le massif rocailleux qui contraste avec le bleu de la mer et le vert des forêts. Des monuments naturels bordent le chemin comme la gigantesque arche S’Arcada S’Architieddu Lupiru ou la grotte Sa Catteddina. Nous nous découvrons une nouvelle passion en explorant ces grottes à la lueur de nos lampes frontales, sans être pour autant de la spéléologie, nous ne descendons pas profondément. Sans oublier, les cuiles, plus beaux les uns que les autres, qui sont toujours présents.
Nous arrivons à la plage de Cala Sisine en début d’après-midi. Bien moins fréquentée que la précédente, elle est bien plus belle à nos yeux. L’eau turquoise et transparente invite à la baignade. Nous installons nos serviettes pour un moment de détente et faire un peu de snorkeling. Masque et tuba font partis de notre équipement pour ce voyage. Pavel nous ayant indiqué un beau coin de bivouac à une heure d’ici, nous n’avons pas prévu de dormir sur la plage aujourd’hui. Nous passons au bar-restaurant manger un morceau et nous reprenons la marche en fin d’après-midi.
Nous nous enfonçons dans une petite gorge. Elle se fait plus étroite, plus pentue et elle est remplie d’énormes blocs rocheux. Les parois verticales sur les côtés sont propices aux chutes de pierres. Le lieu est improbable pour un bivouac. C’est vraiment le dernier endroit où je pourrais imaginer poser ma tente. Nous nous disons que nous avons dû rater quelque chose, nous ne sommes pas sur le bon itinéraire. Quand d’un coup, la gorge s’élargit et un replat apparaît, un lieu enchanteur. Il n’est cependant toujours pas imaginable d’installer la tente, au risque de se prendre des pierres durant la nuit.
Puis, nous apercevons Bacu Sa Ena, un abri naturel au pied d’une paroi rocheuse. Une gigantesque niche permet de s’abriter, il y a plusieurs replats pour s’installer, des ruines d’anciennes constructions, une table de pique-nique aménagée avec de grandes dalles de pierre et une petite source d’eau coule en plus, non loin de là. Le lieu est surréaliste et magique pour y passer la nuit,
Jour 11 : Bacu Sa Ena – Cooperativa Goloritzé
5h00 | 14km | +330/-90m
Le réveil est paisible, d’un calme absolu, encore plus que les autres jours. Nous remontons une longue vallée, d’abord en suivant une piste, puis en hors sentier en restant dans le lit d’une rivière asséchée. Il ne subsiste que quelques bassins d’eau. Nous serpentons dans cette vallée colorée jusqu’à atteindre la grotte Su Tufu de Mangalistru. Un crâne de vache marque l’entrée… A l’intérieur, des stalactites forment d’impressionnants orgues. Dans toutes ces grottes que nous visitons, une simple lampe frontale suffit à les explorer. Il n’y a pas besoin de s’enfoncer profondément, ni de ramper dans des couloirs étroits, pour admirer le monde souterrain. Plus loin, nous découvrons le site arcologique Nurra Genna S’Armentu et le masque de pierre. Un immense rocher en forme de visage tellement réel, qu’il en est troublant.
Nous gagnons l’Altopiano di Golo, un grand plateau d’altitude à 370 mètres d’altitude en début d’après-midi. Nous revoilà dans un secteur un peu plus touristique, plusieurs infrastructures sont présentes ici, hôtel, restaurant, camping… Nous nous installons à l’hôtel Cooperativa Goloritzé où nous louons un bungalow de camping pour deux nuits et allons découvrir l’Altopiano. En soirée, nous profitons du restaurant pour commander un délicieux repas, presqu’aussi bon qu’à l’Agriturismo Separadorgius, au deuxième jour.
Jour 12 : Cala Goloritzé
6h00 | 17km | +760/-730m
Surprise, au départ de la randonnée pour la plage Cala Goloritzé, il y a un guichet depuis cet été, l’entrée est payante et limitée à 250 personnes par jour, réservation recommandée… Heureusement, en cette année particulière, ce n’est pas complet. Nous sommes également loin de l’affluence, nous prenons rapidement une variante tranquille vers un sommet plutôt que de descendre directement vers la plage. Nous atteignons la Punta Salinas en fin de matinée. Avec ses 466 mètres d’altitude, elle domine la plage Cala Goloritzé et l’Aguglia di Goloritzé, une belle aiguille rocheuse haute de 147 mètres. Nous arrivons à distinguer les grimpeurs qui tentent son ascension. Le panorama de la Punta Salinas est sublime, offrant une vue sur les falaises découpées du Supramonte faisant face à la mer. En mer, des dizaines de petits bateaux blancs naviguent le long de la côte, de crique en crique. Nous restons plus d’heure au sommet à le contempler.
Après une descente bien raide, nous arrivons à la fameuse Cala Goloritzé. Elle est minuscule, l’étendue de sable s’étend sur une bande 30 mètres, sur 5 mètres de large. Nous comprenons vite la limitation de nombre de personnes par jour. Heureusement, il est possible de s’installer un peu plus loin, sur les blocs rocheux de la falaise effondrée. Il ne s’agit pas vraiment d’une plage de bronzette, petite, vite à l’ombre en fin de journée, mais cela nous va très bien, le lieu est magique et l’eau d’une clarté exceptionnelle. Nous profitons de ce moment de détente qui marque la fin prochaine de notre randonnée. Après avoir contemplés les petits poissons, nous prenons le chemin du retour pour la Cooperativa Goloritzé.
Jour 13 : Cooperativa Goloritzé – Santa Maria Navarrese
6h15 | 16km | +565/-930m
Après avoir serpentés sur le plateau, passés un nouveau site archéologique et quelques cuiles, le chemin nous conduit sur les hauteurs d’une étroite vallée faisant face à la mer. Ici aussi le panorama est stupéfiant. Les immenses parois encaissent la vallée, la mer s’étend jusqu’à l’infini et la Perdra Longa, une autre aiguille rocheuse en bord de mer, se dresse en contrebas. Un spectaculaire sentier à flanc de montagne, au bord du vide, contourne la montagne et nous rapproche petit à petit du niveau de la mer.
A mi-descente, nous quittons le sentier pour une sente cachée. Célia reste au croisement et je pars à la recherche de l’entrée d’une nouvelle grotte perdue dans la végétation, une autre bonne info de Pavel. Longue de 400 mètres, une rivière souterraine se trouverait au bout. Cette grotte est plus étroite que les précédentes. Il s’agit d’un long couloir longitudinal resserré, où il faut parfois que je baisse la tête, le sol est également piégeux. Sans lumière, c’est le noir total. Alors que je suis bien avancé, ma lampe frontale faiblit et je n’ai rien d’autre avec moi hormis l’appareil photo. Je me dis que si les piles me lâchent, je suis mal, seul dans l’obscurité complète. Je ne me vois pas faire 400 mètres à coups de flash d’appareil photo… Je fais demi-tour. Complètement débutant dans la spéléologie, j’apprends ma première leçon, toujours avoir une lampe ou des piles de secours.
Arrivés en bord de mer, nous suivons un sentier côtier. Il reprend un peu de hauteur pour rester en balcon et domine le grand bleu. Nous passons une petite source d’eau où nous nous rafraîchissons, mais sans faire le plein. D’autres sources sont indiquées plus loin. Erreur ! Ca fait pourtant 13 jours que nous marchons dans un pays de la soif et nous faisons la même erreur que le premier jour, ne pas se ravitailler lorsque nous en avons la possibilité. Les sources suivantes sont inexistantes ou à sec. Heureusement, la dernière coule, mais nous avons eu soif…
Nous arrivons au petit port de Santa Maria Navarrese. Plutôt que de le rejoindre par la route, nous passons par la digue artificielle. Un dernier passage en hors sentier, histoire de finir en beauté, qui nous fait grimper sur des énormes blocs rocheux en bord de mer. La dernière plage marquant la fin de cette belle traversée n’est plus qu’à un kilomètre.